samedi 13 juin 2015

Les pères oublient

"Ecoute-moi, mon fils. Tandis que je te parle,
tu dors la joue dans ta menotte et tes boucles
blondes collées sur ton front moite. Je me suis
glissé seul dans ta chambre. Tout à l'heure,
tandis que je lisais mon journal dans le bureau,
j'ai été envahi par une vague de remords. Et en
me sentant coupable, je suis venu à ton chevet.
"Et voilà à quoi je pensais mon fils : je me suis
fâché contre toi aujourd'hui. Ce matin tandis que
tu te préparais pour l'école, je t'ai grondé parce
que tu te contentais de passer la serviette
humide sur le bout de ton nez ; je t'ai réprimandé
parce que tes chaussures n'étaient pas cirées ;
j'ai crié quand tu as jeté tes jouets par terre.
Pendant le petit déjeuner, je t'ai encore rappelé à
l'ordre : tu renversais le lait; tu avalais les
bouchées sans mastiquer; tu mettais les coudes
sur la table; tu étalais trop de beurre sur ton pain.
Et quand au moment de partir tu t'es retourné en
agitant la main et tu m'as dit : "Au revoir,
papa !", je t'ai répondu en fronçant les sourcils :
"Tiens toi droit !".
Le soir même chanson. En revenant de mon
travail, je t'ai guetté sur la route. Tu jouais aux
billes, à genoux dans la poussière, tu avais
déchiré ton pantalon. Je t'ai humilié en face de
tes camarades, en te faisant marcher devant moi
jusqu'à la maison… «Les pantalons coûtent cher;
si tu devais les payer, tu serais sans doute plus
soigneux ! » tu te rends compte, mon fils ? De la
part d'un père ! Te souviens tu ensuite ? Tu t'es
glissé timidement, l'air malheureux, dans mon
bureau, pendant que je travaillais. J'ai levé les
yeux et je t'ai demandé avec impatience :
«Qu'est-ce que tu veux ?» « Tu n'as rien répondu,
mais dans un élan irrésistible, tu as couru vers
moi et tu t'es jeté à mon cou, en me serrant avec
cette tendresse touchante que Dieu à fait fleurir
en ton cœur et que ma froideur même ne pouvait
flétrir…
Et puis tu t'es enfui, et j'ai entendu tes petits
pieds courant dans l'escalier. « Hé bien ! mon fils,
c'est alors que le livre m'a glissé des mains et
qu'une terrible crainte m'a saisi. Voilà ce qu'avais
fait de moi la manie des critiques et des
reproches: un père grondeur ! Je te punissais de
n'être qu'un enfant.
Ce n'est pas que je manquais de tendresse, mais
j'attendais trop de ta jeunesse ; je te mesurais à
l'aune de mes propres années. « Et pourtant, il y
a tant d'amour et de générosité dans ton âme.
Ton petit cœur est vaste comme l'aurore qui
monte derrière les collines. Je n'en veux pour
témoignage que ton élan spontané pour venir me
souhaiter le bonsoir. Plus rien d'autre ne compte
maintenant mon fils. Je suis venu à ton chevet,
dans l'obscurité, et je me suis agenouillé là plein
de honte. C'est une piètre réparation ; je sais que
tu ne comprendrais pas toutes ces choses si tu
pouvais les entendre. Mais demain, tu verras, je
serai un vrai papa ; je deviendrai ton ami; je rirai
quand tu riras, je pleurerai quand tu pleureras.
Et si l'envie de te gronder me reprend, je me
mordrai la langue, je ne cesserai de me répéter,
comme une litanie : « Ce n'es qu'un garçon… un
tout petit garçon ! » « J'ai eu tord, je t'ai traité
comme un homme. Maintenant que je te
contemple dans ton petit lit, las et abandonné, je
vois bien que tu n'es qu'un bébé. Hier encore, tu
étais dans les bras de ta mère, la tête sur ton
épaule… J'ai trop exigé de toi… Beaucoup trop…»
Au lieu de condamner les gens, essayons de les
comprendre. Essayons de découvrir le mobile de
leurs actions. Voilà qui est beaucoup plus
profitable et plus agréable que de critiquer, voilà
qui nous rend tolérants, compréhensifs et bons.

Livingstone A.Larned

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